Photos de Bernard Bailleux et Sylvie Canal
La montagne Ste Victoire, relief emblématique de la Provence ne s’est pas toujours appelée ainsi. Jusqu’au XVII° siècle, c’était le Mont Ventour ou Venture ayant pour étymologie non pas « balayé par les vents » mais d’après une racine celto-ligure « la Montagne ». Vers 1650, les écrits parlent d’une Montagne Sainte Venture ( ?) puis Ste Victoire.
Données sur l’histoire géologique
Le relief très marqué par son long et large escarpement s’est constitué, comme les autres chaînons provençaux orientés Est-Ouest (Alpilles, Ste Baume, mont Aurélien, Gros Cerveau, Croupatier, Mont Faron et Coudon) entre la fin de l’ère Secondaire ou Mésozoïque et le milieu de l’ère Tertiaire (Cénozoïque). Pendant le système Jurassique (-200 à -145 millions d’années) notre région est recouverte par une mer de profondeur moyenne dans laquelle se déposent d’énormes quantités de sédiments calcaires et marneux (marne=mélange de calcaire et d’argile).
Au Crétacé à partir de – 145 millions d’années la profondeur d’eau diminue et la mer laisse place à des lagunes saumâtres et même à des lacs ainsi qu’en témoignent des fossiles d’eaux douces. Au Crétacé moyen (130 Ma) la Provence est en partie émergée selon un bombement orienté Ouest-Est (le bombement durancien) sur lequel règne un climat tropical favorable à une altération des roches donnant comme produit la bauxite principal minerai d’aluminium.
Au Crétacé supérieur, la plaque ibérique, socle de la péninsule actuelle du même nom, jusque-là séparée du reste de la plaque européenne commence un glissement de l’Ouest vers l’Est, les frottements engendrés comprimant les terrains entre elle et la plaque européenne et aboutissant à l’édification de la chaîne des Pyrénées. Ce déplacement a pour cause l’ouverture de l’océan Atlantique.
La Corse et le Sardaigne se détachent de la côte provençale par un mouvement de translation, puis de rotation pour gagner leur position actuelle au cours de l’ère Tertiaire
Ces mouvements des plaques ont pour conséquence entre les deux îles et le continent une forte compression orientée N- S qui débute à la fin du Crétacé.
Voir les schémas en fin de texte
La formation d’une grande gouttière est-ouest traduit une compression nord-sud. Sur la bordure septentrionale se forme une ride anticlinale. Les niveaux terminaux du Crétacé sont envahis progressivement par une brèche tectonique (roche brisée en éléments à contours anguleux) issue de la consolidation de cônes d’éboulis et qui traduit l’existence d’un relief attaqué par l’érosion.
Au début du Tertiaire (Eocène), la compression se poursuivant, les reliefs s’accentuent et sont attaqués par l’érosion.
C’est à l’Oligocène, il y a 30 Ma que la compression plus forte du Nord que du Sud atteint son paroxysme
L’anticlinal est poussé vers le Sud et vient déferler sur les terrains précédemment au même niveau en les surmontant. Puis il se couche et vient glisser sur eux par une faille horizontale
L’anticlinal déversé vers le sud constitué de calcaires jurassiques chevauche les couches Crétacées plus anciennes que lui et se replie de telle sorte que les couches de son flanc inférieur se retrouvent superposées dans l’ordre inverse de leur formation (les plus anciennes sur les plus récentes
Par la suite, au Tertiaire, les reliefs provençaux ont été soulevés notamment à la suite de la formation des Alpes et l’érosion a fait son œuvre donnant les reliefs actuels.
Quelques données historiques :
On ne parle dans les documents anciens du Mont Ventour qu’à partir du V° siècle.
Cependant, les auteurs latins parlent assez abondamment d’une célèbre bataille qui vit le Proconsul Marius battre une armée accompagnée d’une véritable population d’Ambres et de Teutons évaluée à 60 000 personnes, population originaire du Danemark actuel, bataille qui aurait eu lieu près d’Aquae Sextius (Aix en Provence) en 102 av JC. Il semblerait que ce fut une suite d’escarmouches particulièrement sanglantes (les auteurs citent le chiffre de 100 000 morts) qui se déroulèrent entre Aix et Pourrières dont le nom dériverait du latin Campus putridis en raison des cadavres de cette bataille. Une origine peut-être plus vraisemblable de ce nom proviendrait des champs de poireaux abondants dans cette commune maraichère.
A partir du V° siècle des ermites commencent à occuper notre montagne surtout au pied du sommet Ouest où seront construits, entre le XIII° et le XVI° siècle, une succession d’ermitages, puis une chapelle et enfin le prieuré constitué de plusieurs bâtiments, chapelle, cloitre, monastère. Ce prieuré de Ste Victoire est le plus haut de la Porvence méditerranéenne Les bâtiments furent pillés et détruits à plusieurs reprises pour être finalement en partie restaurés dans les années 1950.
Ces sanctuaires sont dédiés à Ste Victoire. Or, il existe deux saintes de ce nom toutes deux vierges et martyres l’une à Rome, l’autre à Carthage donc n’ayant rien à voir avec la Provence. Ce sont des lieux de pèlerinages importants, les pèlerins étant appelés aussi « venturiers ». Les plus assidues et célèbres furent les filles de Raymond Béranger V, premier comte de Provence ayant réellement organisé et structuré son comté au XII° siècle. Ces quatre « demoiselles de Provence » eurent un destin particulier puisqu’elles furent toutes reines : de France (Marguerite épousa Louis IX), d’Angleterre (Eléonore épousa Henri II), des Romains (Sancie épousa un frère d’Henri III) et de Naples et Sicile (Béatrix épousa Charles I°, frère de Louis IX)
Notre montagne fut aussi l’objet de légendes et de mystères. Ainsi des deux « Garagaï », ces gouffres creusé par l’érosion karstique peu en arrière des crêtes et qui donnèrent lieu à plusieurs hypothèses. On raconta que plusieurs centaines de prisonniers teutons auraient été précipités dans le plus occidental et, bien sûr les chercheurs de trésors furent nombreux à explorer le gouffre à la recherche d’armes précieuses, sans succès bien sûr.
Le Garagaï proche de la croix de Provence qui domine le Prieuré fut le sujet du mystère apparaissant sous la forme du « volcan intermittent ». Un panache de fumée blanche apparait comme rejeté par le gouffre. Il s’agit en fait d’une forte condensation d’eau à la suite d’une couverture nuageuse du sommet de la montagne, eau qui se concentre dans le gouffre et en ressort quand l’atmosphère se réchauffe et se dessèche.
Aujourd’hui, la Montagne Ste Victoire, magnifiée par les œuvres de Paul Cézanne, est un lieu à la fois d’activité physique (marche, escalade ) et de découverte des milieux naturels avec sur le versant Nord, une succession de chênaies, puis, en prenant de l’altitude de steppes et sur le versant Sud une végétation rupicole aux formes adaptées aux vents violents avec des formes caractéristiques en coussinets montrant des convergences adaptatives entre des espèces éloignées mais subissant des contraintes identiques. C’est aussi un domaine où l’histoire géologique de la Provence peut se lire en feuilletant les strates successives de roches sédimentaires et leurs déformations
Bernard Bailleux